Le caractère inattendu et brutal d’une naissance prématurée ne laisse pas le temps de reprendre son souffle. Plongés dans un tourbillon épuisant, les parents vivent des conditions paralysantes qui exigent de trouver des ressources impensables pour donner de la force à leur petit·e costaud. Toute l’énergie disponible se focalise alors sur le nouveau-né, si bien que le reste de la famille peut se sentir lésé. Comment présenter cette situation exceptionnelle à ses enfants et décrire ce qu’il se passe quand les mots restent souvent bloqués au fond de la gorge ? Nous vous proposons quelques pistes à envisager pour expliquer la prématurité à la fratrie.
Sommaire
- 1 L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur : un bouleversement dans la vie de l’aîné·e
- 2 Utilisez les livres comme une ressource pour expliquer la prématurité à la fratrie
- 3 Rassurez vos enfants sur l’univers médical de leur petit frère ou petite sœur hospitalisé·e
- 4 Demandez de l’aide au service de néonatologie pour organiser une rencontre familiale
- 5 Entretenez des liens entre votre nouveau-né et ses frères et sœurs
L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur : un bouleversement dans la vie de l’aîné·e
De manière générale, l’arrivée d’un cadet dans une famille constitue un bouleversement pour ses frères et sœurs. Cet événement se vit plus ou moins calmement en fonction de la place dans la fratrie ou du nombre d’enfants. Cependant, ce changement représente toujours un moment important qui demande une période d’adaptation. En effet, l’ordre établi devient chamboulé, l’équilibre familial bousculé et ce n’est pas si facile pour les grand·e·s frères et sœurs de s’y adapter. Aux yeux de nos petits, l’amour des parents doit désormais se partager, une concession qui reste difficile à accepter. Cette situation entraîne immanquablement des sentiments ambivalents, entre tendresse, envie et jalousie.
Lors d’une naissance prématurée, ces émotions saines et normales se trouvent exacerbées et peuvent être à l’origine d’angoisse et de culpabilité. Les aînés s’inquiètent pour l’état de santé du bébé et se retrouvent brutalement séparés de leurs mamans et de leurs papas. En plus de cette distance, nos petits sentent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Ils décèlent certainement la confusion, la souffrance, les yeux embués, les tremblements dans la voix, la présence absente aussi parfois. L’hospitalisation laisse moins de disponibilité aux parents pour partager des moments avec leurs enfants et ce constat reste complexe à comprendre pour la fratrie.
En l’absence d’informations et de rencontre avec le nouveau-né, l’imagination des enfants fourmille et peut créer des représentations parfois plus angoissantes que la réalité. Certains changements de comportements peuvent survenir comme des troubles du sommeil tels que des terreurs nocturnes ou des difficultés d’attention. Pour faire face à cette agitation, une rencontre entre le nouveau-né et ses frères et sœurs peut s’avérer utile. Nous évoquerons l’organisation de cette visite un peu plus tard dans cet article.
Au besoin, n’hésitez pas à parler de votre situation à un professionnel de santé, à un membre du service de néonatologie ou à un·e psychologue pour vous faire accompagner.
Utilisez les livres comme une ressource pour expliquer la prématurité à la fratrie
Les mots manquent parfois pour décrire le contexte dans lequel vous êtes immergés. Trouver les phrases adéquates n’est pas toujours simple, surtout quand les émotions vous submergent. En plus de l’aide de l’équipe médicale, vous pouvez vous appuyer sur un autre intermédiaire pour faire comprendre la situation à vos enfants : les livres. Les images et les histoires permettent aux aînés de visualiser l’hospitalisation et d’obtenir certaines réponses claires à leurs questions.
Nous avions été particulièrement sensibles à la démarche de Déborah Le Meur, infirmière en néonatologie, dans son ouvrage Ma courageuse petite sœur. Cette histoire dédramatisante possède une dimension interactive qui permet aux petits de s’exprimer et de renforcer le dialogue avec leurs parents. L’auteure évoque dans l’entretien que nous avons réalisé avec elle la genèse de ce projet : « Le livre est né de rencontres avec les familles. Et d’un constat : les fratries sont les grandes oubliées de la prématurité. » Une lecture merveilleuse à offrir à vos enfants.
D’autres ouvrages se focalisent également sur les fratries et donnent des pistes pour leur expliquer la prématurité. Nous vous proposons une compilation non exhaustive de quelques titres à découvrir avec vos enfants :
- Le petit frère de Lili est né mais il n’est pas à la maison, Sparadrap, Clepsydre, 2013 ;
- Né trop tôt, Anne Pardou, Christian Merveille, Josse Goffin, Éditions Mijade, 2011 ;
- Le petit frère de Lola est arrivé en avance, Charlotte Bouvard, SOS Préma, 2008 ;
- Le premier hiver de Max, Sylvie Louis, Éditions Enfant Québec, 2008 ;
- Un si petit petit frère, Marie-Sophie Vermot, Florent Silloray, Éditions Milan Poche, coll. Cadet, 2002.
D’autres ouvrages vous ont-ils marqués ou vous ont-ils permis de mieux communiquer avec vos aînés ? N’hésitez pas à partager vos références dans les commentaires, cela pourrait être utile à de nombreuses familles.
Rassurez vos enfants sur l’univers médical de leur petit frère ou petite sœur hospitalisé·e
Entre le bruit des machines, les couveuses, l’équipement du personnel médical et le nôtre, peut-on un jour s’habituer à l’atmosphère ultra médicalisée d’un service de néonatologie ? L’univers reste impressionnant, et même inquiétant lorsque nous n’y sommes pas préparés. En connaissant ce contexte, comment présenter les fils et les capteurs aux aînés sans les bouleverser ?
Lors de la première toilette ou du premier câlin peau à peau, vous ne saviez sûrement pas où placer vos mains ou comment porter votre bébé dans vos bras. La crainte de lui faire mal ou de débrancher quelque chose par inadvertance pesait probablement lourd dans votre poitrine. Pour votre enfant, le sentiment est semblable. Tout comme vous, il ne sait pas comment appréhender cette réalité, l’important est donc de dédramatiser la présence de tout cet équipement et d’expliquer cet environnement à travers des mots simples, ainsi que des images réconfortantes et bienveillantes.
À titre d’exemple, vous pouvez comparer les petits tuyaux dans le nez à deux tubas qui servent à respirer, comme à la mer. De même, les électrodes sur la poitrine du bébé peuvent ressembler à des fleurs qui remplacent nos oreilles pour écouter le cœur.
Demandez de l’aide au service de néonatologie pour organiser une rencontre familiale
Souvent, les aînés ne parviennent pas à comprendre la réalité de l’hospitalisation. En effet, leur petit·e frère ou sœur ne se trouve plus dans le ventre de maman, pourtant il ou elle n’est pas non plus de retour à la maison. Dans ce contexte, il n’est pas évident pour eux de concrétiser l’existence du bébé. De ce fait, favoriser la rencontre des aînés avec le nouveau-né peut calmer certaines angoisses.
Grâce à cette rencontre, le chaos du planning quotidien s’éclaircit enfin et prend tout son sens. La fratrie saisit désormais la raison des emplois du temps surchargés et des allers-retours incessants. Rencontrer le bébé c’est aussi donner l’occasion de l’aimer et de lui faire une place aux yeux de la fratrie. L’accueil des frères et sœurs peut servir à créer un échange et une complicité autour du bébé, une source de préoccupation commune.
Néanmoins, la rencontre s’effectue dans un climat d’insécurité qui demande la mobilisation d’importantes ressources pour toute la famille. Les professionnels de santé du service ont un rôle essentiel à jouer pour favoriser cet instant et permettre à la famille de se retrouver. En France, comme en Belgique, de nombreux hôpitaux mettent en place des ateliers ou encouragent les visites des aînés. L’objectif est alors de prendre le temps d’expliquer la prématurité à la fratrie, de dédramatiser cette première rencontre et d’aider à exprimer ses émotions.
Le centre néonatal intensif de l’hôpital Delta propose des ateliers « fratrie » dans le but d’impliquer les frères et sœurs lors de l’arrivée d’un nouveau-né prématuré. Ces moments se concentrent entièrement aux aînés pour qu’ils se familiarisent à leur rythme au service. Les infirmières pédiatriques, ainsi qu’un·e psychologue, encadrent les sessions. À Poissy la visite des frères et sœurs est également proposée systématiquement dès la première semaine de vie, puis peut se renouveler toutes les deux semaines. Les aînés sont alors reçus dans l’espace jeu par le ou la psychologue qui propose de dessiner une image à afficher dans la chambre du bébé. Ce moment sert aussi à verbaliser le vécu de la situation avant de passer à la visite en elle-même. Les parents restent accompagnés à chaque instant, comme les enfants, pour que l’accueil se déroule dans les meilleures conditions possible.
La présence de la fratrie en néonatologie n’est pas toujours envisageable, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre service pour savoir s’il permet l’organisation de ces rencontres.
Entretenez des liens entre votre nouveau-né et ses frères et sœurs
Certaines situations empêchent parfois de prévoir des visites de la fratrie dans l’unité néonatale. Si les contacts physiques demeurent inaccessibles, de nombreux autres moyens existent pour créer et renforcer le lien entre votre nouveau-né et sa fratrie. Si vous le souhaitez, vous pouvez réaliser des photographies de votre bébé ou des vidéos lorsque vous le prenez dans les bras ou au moment du change. Bien sûr, cette option n’est pas toujours envisageable. Vous pouvez aussi prendre des images générales de la chambre pour montrer simplement l’environnement.
Une belle manière de tisser une connexion entre votre bébé et vos aînés peut être de leur demander de participer au décor de la chambre de leur petit·e frère ou sœur. Ils peuvent produire un dessin coloré, noter des petits mots ou fabriquer des créations originales. De même, vos aînés peuvent enregistrer une berceuse qui accompagnera les songes de votre petit.e costaud ou confectionner un doudou unique. Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi entreprendre un journal de bord ensemble pour recueillir et conserver les émotions de la famille tout au long de votre parcours.
Déborah Le Meur, que nous vous présentions à travers son livre Ma courageuse petite sœur, travaille dans le service de néonatologie et de soins intensifs de l’hôpital Sainte Musse à Toulon. Sur son compte Instagram, elle partage des contenus remplis de douceur sur son quotidien et de nombreuses rencontres familiales dans le service. Dans l’entretien que nous avons réalisé, elle évoquait d’ailleurs une action menée dans son service :
« Nous avons proposé aux familles des vidéos personnalisées destinées aux fratries. Ces vidéos présentent le service de façon détaillée et s’adressent directement à l’enfant en l’appelant par son prénom et en lui montrant la chambre de son petit frère ou de sa petite sœur. ».
L’arrivée d’un nouveau-né prématuré constitue un bouleversement pour toute la famille. Les angoisses de l’hospitalisation et ses contraintes quotidiennes ne créent pas un climat propice à une présentation sereine. Les grand·e·s frères et sœurs peuvent facilement se sentir délaissé·e·s face à ce quotidien qu’ils ne comprennent pas et ont du mal à envisager. Pour réduire le sentiment d’abandon et favoriser la rencontre avec le nouveau-né, vous pouvez vous appuyer sur le service de néonatologie, ainsi que les ressources littéraires écrites sur le sujet. À travers des activités ludiques, vous pourrez aussi impliquer toute la famille et créer des liens fraternels. Néanmoins, il est évident que présenter cet univers n’est pas facile et demande beaucoup de force. L’adaptation requiert du temps et de la bienveillance. Pour aller encore plus loin, nous avons consacré un article aux aides pour les parents de bébés prématurés et un autre sur des pistes pour parler de la prématurité avec son entourage, n’hésitez pas à consulter ces ressources si vous recherchez davantage de conseils.
Nous serions heureux de recevoir votre témoignage sur les initiatives que vous avez pu mettre en place avec vos enfants. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous partager votre expérience sur notre page contact, en message privé sur nos réseaux sociaux (Facebook et Instagram) ou dans les commentaires de cet article.
Sources :
- Marie-Josée Mouras, Isabelle Gueritte, Anna Leboul, Accueillir l’aîné(e) d’un bébé né de manière prématurée : mise en perspective de deux protocoles hospitaliers dont l’un de type groupal, Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2008/1 (n° 50), pages 161 à 174 ;
- Préma-Québec, l’adaptation des frères et sœurs en néonatologie ;
- Marine Lestang, Naissance ou arrivée d’un prématuré à Poissy : quelles attitudes adoptent les parents face à leurs aînés ?, Gynécologie et obstétrique, 2015, dumas-01220587 ;
- Pauline Martial, Prématurité : des ateliers pour inclure frères et sœur, 2021 ;
- Bettina Presutti, psychologue clinicienne, service de néonatalogie du centre hospitalier de Pontoise et Myriam Blidi, chargée des projets et de la formation au sein de l’association Sparadrap, L’accueil de la fratrie en réanimation néonatale, 2011.
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