« Enseigner avec bienveillance, instaurer une entente mutuelle entre élèves et enseignants » de Marshall B. Rosenberg. Dans ce petit livre, écrit en 2006, le pionnier de la Communication non-violente (CNV) résume les principes de la communication bienveillante et les applique au monde de l’éducation. Il s’agit plus concrètement de la retranscription fidèle d’une conférence qui a été donnée par Rosenberg lors d’un congrès national des enseignants Montessori en Californie.
Cet article a été écrit par Laura Nicolas, enseignante-chercheuse et créatrice du blog Ma petite forêt, un site d’information et de formation gratuite à la pédagogie par la nature
Sommaire
« Langage chacal » et « langage girafe »
Rosenberg commence par reprendre les termes de « langage chacal » et « langage girafe », termes bien connus qu’il a développés au sein de la Communication non-violente. Qu’est-ce que le langage chacal ? C’est le langage où on attribue immédiatement les problèmes que l’on rencontre à la personne qui se trouve en face de nous. La personne en face de vous ne comprend pas ce que vous dites ? C’est de sa faute. Les clients n’achètent pas vos produits ? C’est de leur faute.
La personne qui parle le langage chacal est habituée à fonctionner de cette manière : elle attribue l’origine d’un conflit ou d’un problème à la personne qui se trouve en face d’elle, à son interlocuteur. Rosenberg dit que l’éducation qu’il a reçue lui-même – et que beaucoup reçoivent – est basée sur ce langage chacal. Ce n’est pas de la faute des enseignants. C’est ainsi qu’on nous apprend à enseigner. Et c’est bien dommage !
Parce qu’à l’inverse du langage chacal se trouve le langage girafe. C’est un concept que Rosenberg a développé autour de l’analogie avec la girafe. Cet animal a le plus grand cœur du monde ! On est donc sur une approche qui va être une approche du cœur, une approche bienveillante. Marshall écrit ainsi :
« Le langage girafe, et plus largement la communication non violente, nous ouvre un chemin de vraie honnêteté, sans critiquer, insulter, humilier ni émettre de jugement intellectuel suggérant que l’autre a tort ou est mauvais » (page 15).
Le langage girafe permet à l’individu d’entendre ce que la personne en face lui dit au niveau du cœur. On ne se focalise pas sur les mots qui sortent de la bouche ou de la tête de la personne mais sur ce qu’elle a dans son cœur. Comment interpréter ce que dit une personne au niveau émotionnel ? Quand une personne s’énerve contre nous, par exemple, on va l’interpréter en se demandant ce que la personne peut bien avoir comme émotion actuellement pour s’adresser à nous de telle manière. Elle a certainement de la peine où elle est irritée par quelque chose qui n’a peut-être rien à voir avec nous. Au lieu de prendre ses critiques et ses insultes pour ce qu’elles sont, on les prend comme les manifestations d’un état émotionnel forcément fluctuant et souvent un état émotionnel qui est pénible à supporter pour la personne qui agresse l’autre.
Remplacer l’évaluation par l’observation
Rosenberg propose aux enseignants de remplacer le langage chacal par le langage girafe. Comment faire ? Il s’agit d’éliminer tous les mots qui évaluent l’autre sur ses performances ou sur ce qui est bien, mal, bon, mauvais, incorrect… A la question des enseignants qui lui demandent comment évaluer dans ces conditions Rosenberg répond de remplacer l’évaluation par l’observation. Il raconte alors une expérience qu’il a menée avec des enseignants qui critiquaient vertement leur directeur d’école. Il leur a demandé de citer une chose positive qu’ils avaient vue chez le directeur. C’est un exercice extrêmement difficile parce que nous avons tous été élevés dans le langage chacal. Nous sommes habitués à évaluer, et souvent durement, avec des « trop », « pas assez », « pas du tout ». Observer sans évaluer est une activité très difficile quand on n’est pas habitué.
On peut par exemple tomber dans l’écueil suivant (comme ce fut le cas des enseignants fâchés contre leur directeur, dans l’histoire racontée ci-dessus) : qualifier l’action de notre interlocuteur avec un terme beaucoup trop générique et surtout très subjectif. Prenons l’exemple de « crier ». « Il crie trop » disent les enseignants ou les parents par rapport à un enfant (ou à leur patron !). Mais l’interlocuteur peut répondre « mais pas du tout, je ne crie pas ! ». Crier est relatif, c’est trop subjectif. En langage girafe, quand on observe, on dira plutôt « il parle plus fort que les autres ». La comparaison permet à l’interlocuteur de mieux comprendre la juste mesure vers laquelle vous voulez l’emmener.
« Pouvoir avec » les autres : la bienveillance
Le langage chacal suppose qu’on prenne le pouvoir sur l’interlocuteur tandis que la communication non-violente et le langage girafe sont plutôt axés sur un pouvoir faire avec l’autre. Dans cette approche, la punition et la violence ne fonctionnent jamais. Posons-nous plutôt à la place ces deux questions :
- Que voulons-nous que l’autre personne fasse concrètement ?
- Que voulons-nous que l’autre ait comme motivation pour faire ce que nous lui demandons ?
On sait bien qu’on agit jamais sans motivation si l’on ne cherche pas à comprendre les motivations de l’autre à poser telle ou telle action y compris ne pas faire ce qu’on lui demande en classe, nous dire « non ». Il est impossible de faire changer d’avis tout d’un coup, en tout cas de manière bienveillante. En communication non violente, la récompense est envisagée dans les mêmes termes que la punition. En effet, elle instaure une forme de compétitivité entre les enfants, elle favorise la culpabilité chez ceux qui ne sont pas récompensé et elle n’est d’aucune utilité pour résoudre un problème chez un enfant. Par exemple, on va amplifier sa culpabilité quand on va lui dire « ça me rend vraiment triste que tu fasses mal ton travail ». On n’est pas obligé de jouer ce jeu. Il y a d’autres solutions.
Le vocabulaire des sentiments
La recette de la communication non-violente et de l’éducation bienveillante commence par faire attention au vocabulaire des sentiments. Commençons par ressentir les sentiments que nous avons lorsqu’une personne se comporte de manière qui ne nous convient pas. Commençons par nous poser la question suivante : « comment est-ce que je me sens quand telle personne se comporte ainsi avec moi ? ». Déboussolé ? Mal à l’aise ? Triste ? Enervé ? Frustré ? Trahi ? Attention ! « trahi » ne dit pas comment vous vous sentez mais pose déjà une évaluation sur la personne qui vous parle. De la même manière « Je me sens incompris, manipulé, utilisé, critiqué, etc. » n’indique pas les sentiments que vous ressentez purement et simplement. Ce sont plutôt des images mentales de ce que les autres font. Nous sommes tellement habitués au langage chacal que nous avons développé un vocabulaire très restreint concernant l’expression de nos sentiments.
Dans son livre « Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs », Rosenberg inclut ainsi une page complète de vocabulaire pour enrichir notre palette d’expression.
Voyez aussi : La Carte des Emotions de Art Mella, un excellent outil pour apprendre à reconnaître les émotions qui nous animent au quotidien.
Nous n’avons pas appris à nous écouter, à voir la beauté en nous, à écouter nos ressentis… Nous manquons de vocabulaire pour exprimer ce que nous n’arrivons pas à ressentir. On est beaucoup plus promptes à opérer une opération mentale d’évaluation ou de jugement sur la personne qui nous a mis dans l’état dans lequel nous nous trouvons. Alors qu’en Communication non violente on considère non pas les mots d’agression qu’un élève ou qu’un collègue nous a lancés, mais plutôt les émotions qu’ils provoquent chez nous et la remise en question de notre propre état d’esprit au moment où nous avons reçu ces mots.
Par expérience, je sais que la méditation est une démarche efficace pour apprendre à reconnaître nos émotions. Pour en savoir plus, consulter « Méditer avec ses enfants ».
L’expression de nos besoins et demandes
Une fois que l’on a travaillé à l’écoute des sentiments et enrichi le vocabulaire qui nous permet de les exprimer, la deuxième étape est celle de l’analyse de nos besoins, qui sont à l’origine de nos sentiments. En effet, nos sentiments découlent toujours d’un besoin. Quels sont ces besoins insatisfaits qui provoquent des sentiments douloureux ou négatifs chez nous ? Relions nos sentiments non pas à une explication mentale mais à l’expression d’un besoin. Au lieu de dire « Je suis énervé parce que je tu … », disons plutôt « Je me sens ainsi dans cette situation parce que j’ai besoin de … ».
Quels sont nos besoins ? Besoin d’acceptation, de sécurité, d’approbation, de respect, de paix, de confiance, de pouvoir compter sur quelqu’un, besoin d’amour certainement… Une fois nos besoins identifiés et exprimés à notre interlocuteur, nous pouvons faire notre demande. La première chose est d’éviter des formules vagues comme « Je veux que tu m’écoutes », puisque l’autre répondra inévitablement « Mais je t’écoute ! ». « Écouter » est trop vague. Il s’agit d’opter pour un langage d’action précis. Être donc clair et précis dans notre demande.
Il est important de faire en sorte que notre interlocuteur n’entende pas notre demande comme une exigence. En effet, nos « oreilles de chacal » sont habituées à l’option « obéir » ou bien « se rebeller ». On est immédiatement dans une posture de choix qui peut être difficile à vivre. Quand un enfant entend notre demande comme une exigence délivrée par une autorité, il peut se positionner en posture de rébellion. Il faut donc bien lui faire comprendre que c’est une demande, que ce n’est pas une punition. N’hésitons pas à lui demander comment il aurait aimé qu’on lui formule…
En bref, « Enseigner avec bienveillance » est une petite mine d’or. Ce livre contient – à travers de nombreux exemples et conseils – les principes de base de la Communication non violente appliquée au monde de l’éducation. Ecouter nos propres besoins, apprendre à les exprimer, dire nos demandes sans culpabiliser et dans un langage précis, telles sont les clés de réussite d’une communication bienveillante et empathique, dans nos relations avec les enfants mais aussi avec les adultes !
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